Peu d’instants en Formule 1 sont aussi sacrés que la cérémonie du podium. C’est le moment où l’adrénaline redescend, où les pilotes - casque ôté, visages marqués, émotions à fleur de peau - célèbrent leur triomphe, pansent leurs blessures ou se laissent juste aller après 90 minutes de course palpitante. Sous les sprays de champagne et au son des hymnes nationaux, les émotions affluent.
Mais si les cérémonies actuelles sont parfaitement orchestrées, il y a eu des moments tellement inattendus : pilotes absents, trompettistes alcoolisés, et couacs avec les trophées. Voici cinq des plus étranges, drôles ou tout simplement incompréhensibles cérémonies de l’histoire de la F1.
Elio De Angelis monte par erreur (Monaco, 1982)
La pluie transforme Monaco en patinoire, et dans le chaos final, on s’y perd dans le classement. Prost, Patrese, Pironi et de Cesaris se relaient à la tête, Daly cale aussi. Finalement, c’est Patrese qui s’impose, après l’avoir redémarrée en la poussant. Pendant ce micmac, Le Britannique James Hunt résume : « On est tous à la ligne d’arrivée, mais on n’a toujours pas de gagnant ! »
Et pendant que la confusion règne, Elio de Angelis - classé cinquième - reçoit un coup de téléphone et monte sur le podium aux côtés de la royauté monégasque... jusqu’à ce qu’on réalise la boulette.
Prost jette son trophée à la foule ; Ron Dennis est furieux (Italie, 1989)
Pour certains, les trophées n'ont que peu de signification émotionnelle - mais pour Ron Dennis, directeur de l'équipe McLaren, ils étaient une propriété sacrée.
Les tensions entre Prost et Dennis couvaient depuis le début de la saison, après que Prost ait annoncé son départ imminent pour Ferrari. Le geste de Prost sur le podium n’a pas été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme.
Vainqueur pour la quatrième et dernière fois de la saison lors du Grand Prix d’Italie, Prost fut acclamé par une foule de Tifosi en délire massée sous le podium. Selon la F1, l’ancien coordinateur de l’équipe McLaren Jo Ramirez se souvenait :
« Ils criaient “Coppa, Coppa”. Alain s’est dit “ce sera mon public l’an prochain”, alors il s’est approché et a simplement lâché le trophée. Dès qu’il a touché la foule, il a été démembré en mille morceaux - l’un a pris une anse, un autre la base, un autre le centre... »
Ron Dennis, visiblement furieux de voir le trophée de McLaren disparaître, a balancé le trophée constructeur aux pieds de Prost avant de quitter le podium en trombe. Depuis, la politique interne de McLaren exige que les pilotes remettent immédiatement leurs trophées à l’équipe pour exposition.
Un fan ivre joue “Happy Birthday” pour la première victoire d’Alan Jones (Autriche, 1977)
Dans l’un des moments les plus absurdes de l’histoire des podiums F1, le pilote australien Alan Jones a remporté son tout premier Grand Prix lors de la manche autrichienne de 1977. Alors qu’il s’apprêtait à monter sur le podium pour entendre son hymne national, les organisateurs - apparemment pris au dépourvu - n’avaient tout simplement pas l’hymne australien sous la main.
« Les organisateurs ne s’attendaient visiblement pas à ce que je gagne, puisqu’ils n’avaient pas l’hymne national australien », confiait Jones à formula1.com. « À la place, un type ivre a joué “Happy Birthday” à la trompette - et des trompettes, il y en avait beaucoup en Autriche… »
À l’époque, ce sont souvent les organisateurs locaux qui géraient l’ensemble de la cérémonie du podium. Les erreurs arrivaient de temps à autre, surtout quand les équipes n’avaient rien préparé. Aujourd’hui, la FIA supervise étroitement chaque cérémonie : hymnes, drapeaux, timing - tout est validé en amont.

The no-show duo: Hunt & Reutemann exit stage left (Japan, 1977)
La plupart des pilotes rêveraient de monter sur un podium. Mais lors du Grand Prix du Japon en 1977, James Hunt et Carlos Reutemann ont décidé de passer leur tour.
La course est aujourd’hui surtout connue pour les pluies torrentielles et le brouillard qui ont balayé le circuit, plongeant de nombreux pilotes dans l’inquiétude quant à la sécurité. Elle reste aussi tristement célèbre pour le crash dramatique entre la Ferrari de Gilles Villeneuve et la Tyrrell à six roues de Ronnie Peterson, causant la mort d’un caméraman et d’un commissaire de piste. Mais l’un des moments les plus étranges du week-end est bien la cérémonie du podium.
Hunt, vainqueur de la course, en avait assez de la politique en F1 et des conditions de course – il a tout simplement quitté le circuit pour attraper son vol. Reutemann l’a suivi peu après. Résultat : seul le troisième, Patrick Depailler, est monté sur le podium pour fêter sa place, pendant que les officiels tentaient de sauver les apparences.
Des incidents comme celui-ci ont conduit la FIA à renforcer les exigences concernant la présence obligatoire des pilotes sur le podium. Les règles ont rapidement été modifiées pour en faire une obligation réglementaire.

Pastor Maldonado porté en triomphe (Espagne, 2012)
La victoire de Pastor Maldonado lors du Grand Prix d’Espagne 2012 fut déjà un choc en soi. L’écurie Williams n’avait plus gagné depuis près d’une décennie, et peu s’attendaient à ce que le Vénézuélien - surnommé “Crashtor” Maldonado - soit celui qui mettrait fin à cette disette. Mais une autre surprise arriva après la course, lorsque, pendant la cérémonie du podium, Fernando Alonso et Kimi Räikkönen soulevèrent physiquement Maldonado dans un geste spontané de célébration.
L’image est restée inoubliable : deux anciens champions du monde soulevant le vainqueur, médusé, comme pour le couronner roi.
Aujourd’hui, les cérémonies de podium semblent bien huilées, millimétrées. Mais parfois, le chaos refait surface. Que ce soit un hymne mal choisi, un pilote absent ou un geste inattendu de vos rivaux, ces moments nous rappellent qu’en Formule 1 - malgré tout son professionnalisme - il reste une place pour l’imprévu.
Le podium n’est peut-être pas l’élément central d’un Grand Prix, mais c’est souvent le plus humain. Là où les émotions, les erreurs, l’égo, la joie et l’absurde se rencontrent, dans un instant suspendu de gloire.